La Lettre du CSA


Présence et représentation des minorités visibles à la télévision française : une étude du CSA
La Lettre du CSA n° 129 - Juin 2000


Afin d'assurer une meilleure représentation des minorités à la télévision, la ministre de la Culture et de la Communication a récemment proposé au Premier ministre l'adoption d'un décret modifiant les cahiers des missions et des charges des chaînes publiques, en leur imposant des obligations en ce sens. Cette décision est intervenue au terme d'un long processus où le CSA a joué un rôle majeur (cf.encadré).

Ainsi, dès novembre 1999, le CSA a décidé de réaliser une étude permettant d'évaluer, en s'appuyant sur une analyse détaillée de la programmation, la place réservée sur les antennes des chaînes hertziennes françaises aux différentes composantes de la communauté nationale. Cette décision faisait suite à l'audition par le Conseil, le 5 octobre 1999, du Collectif Egalité créé et présidé par la romancière Calixthe Beyala, dont l'objet consiste à dénoncer le manque de représentation de la société multiculturelle à la télévision française.

Portant sur la semaine du 11 au 17 octobre 1999 et les programmes diffusés de 17h à minuit par TF1, France 2, France 3 Canal+ et M6, cette étude, qui mesure la présence des minorités ethniques sur le petit écran, s'inspire d'une enquête réalisée en 1991 par le Centre d'information et d'études sur les migrations internationales, à la demande de l'association Rencontres audiovisuelles. Mais, alors que l'approche de cette dernière était totalement qualitative, l'étude conduite par le CSA, qui est la première du genre jamais réalisée en France, se caractérise par une approche principalement quantitative.

La Lettre présente aujourd'hui les principaux enseignements de cette étude qui sera très prochainement éditée dans son intégralité.

La méthodologie

Le Conseil a procédé à un recensement sur le petit écran des minorités visibles. Ce terme désigne les minorités ethniques d'origine non-européenne et dont l'aspect physique, différent de celui de la majorité française "blanche", les rend visibles.
L'étude a réparti les minorités visibles à repérer, en trois grandes catégories : les Noirs, les Maghrébins / Arabes et les Asiatiques.

Ont été regroupées dans la catégorie Noirs, toutes les personnes de couleur noire ou à la peau "mate", quelles que soient leurs origines. Ainsi, ont été considérés comme tels les Africains, les personnes issues des Dom-Tom, les métis, les Noirs d'Amérique latine et certains aborigènes d'Australie ou d'autres pays.
Par ailleurs, l'étude a pris en considération toutes les personnes d'origine maghrébine et arabe, de façon générale.
Dans la catégorie Asiatiques, ont été retenues toutes les personnes issues du continent asiatique dont les Chinois, les Japonais, les Vietnamiens, les Thaïlandais, les Indonésiens mais aussi les Indiens ou les Pakistanais.

Bien que présentant un caractère général, les termes Noirs, Maghrébins / Arabes, et Asiatiques, qui font référence à plusieurs types d'individus : les étrangers, les personnes d'origine étrangère et celles issues de mariages mixtes, ont été utilisés à dessein dans un souci de simplification. Ainsi, le repérage des minorités a été effectué uniquement selon des critères physiques, en s'attachant à la notion de visibilité ou de différence et non à la nationalité des personnes observées. Les minorités visibles des pays étrangers ont donc également été prises en compte par l'étude.

L'analyse a porté sur la programmation de la semaine du 11 au 17 octobre 1999 de cinq chaînes hertziennes nationales (TF1, France 2, France 3, Canal+ et M6) dans la tranche horaire 17h-24h. Cette semaine, choisie au hasard, n'a été marquée par aucun événement majeur concernant l'immigration dans l'actualité nationale comme internationale. La tranche horaire 17h-24h correspond, quant à elle, au moment où les chaînes hertziennes rassemblent le plus d'audience.

La Cinquième n'a pas été retenue car sa programmation prenant fin à 19h, évaluer la représentation des minorités visibles de la chaîne sur deux heures seulement de programmes quotidiens aurait été insuffisant. De même, Arte échappe aussi à l'analyse étant donné que sa programmation ne débute qu'à 19h et qu'elle n'est, en outre, pas assujettie au contrôle du CSA en raison de son statut de chaîne franco-allemande.

Afin de faciliter l'analyse, les programmes de la semaine étudiée, soit 803 émissions d'une durée totale de 252 heures et 50 minutes, ont été regroupés en huit grandes catégories : journaux télévisés, jeux, divertissements, information - culture - société , sport, fiction, vidéomusiques et publicité.

La publicité et la fiction constituent les deux genres de programmes dominants au sein de la grille analysée, puisque 487 écrans publicitaires et 123 fictions ont été visionnés. Les vidéomusiques, quant à elles, arrivent en dernière position, avec seulement quatre émissions.


Un faible niveau de représentation des minorités visibles

L'étude réalisée par le CSA fait apparaître plusieurs types de phénomènes.

D'abord et avant tout, pour les émissions de plateau, on constate une très faible représentation des minorités parmi les personnes présentes : 6% des professionnels seulement, 11% des invités ou participants et 6% du public. Ce chiffre, particulièrement bas, mérite toutefois d'être précisé : les Noirs forment la grande majorité des représentants des minorités visibles présents sur les plateaux, suivis par les Maghrébins/Arabes et enfin par les Asiatiques, qui sont systématiquement très peu représentés.

Lorsque l'on observe en revanche les reportages ou les extraits présentés au cours des émissions de plateau, et principalement dans les journaux télévisés, 39% font apparaître des représentants des minorités visibles. Et donc s'il est vrai que le monde de la télévision lui-même est très majoritairement blanc, il n'est pas vrai qu'il ne rende absolument pas compte de la diversité de la population réelle. Parmi ces " reportages " ou " extraits ", ce sont là encore les Noirs qui se taillent la part du lion, les Maghrébins et les Asiatiques ne venant que loin derrière.

Pourtant, quand on affine encore l'analyse, si l'on fait le compte des représentants des minorités visibles qui prennent effectivement la parole, ils ne sont plus que 18% des " protagonistes " véritables des sujets réalisés. Il s'ensuit que même lorsqu'elles sont présentées, les minorités visibles n'ont que rarement le droit à la parole.

Si l'on considère les fictions, on découvre que 81% d'entre elles montrent à un moment ou à un autre des minorités visibles. Cependant 74% de ces fictions sont d'origine étrangère, et principalement américaine, seulement 26% sont françaises. Si M6, puis TF1, sont les deux chaînes qui ont diffusé le plus de fictions présentant des minorités visibles, c'est parce que ces deux chaînes ont aussi diffusé le plus grand nombre de fictions américaines. De même, les représentants des minorités qui apparaissent sont là encore majoritairement des Noirs, ce qui s'explique aussi par l'origine des fictions, puis des Asiatiques et en troisième position, pour 7% seulement, des Maghrébins /Arabes.

Cette analyse de la fiction marque indéniablement une carence de la fiction française, qui échoue à montrer la société contemporaine dans sa diversité, ou qui ne le fait que de manière très marginale, n'accordant quasiment jamais les premiers rôles aux représentants des minorités visibles. La question dépasse donc le simple cadre de la programmation des chaînes, qui font appel aux programmes disponibles sur le marché français : les Maghrébins sont pratiquement absents des fictions françaises, alors qu'ils sont présents dans le vécu et le quotidien du public. Il apparaît donc qu'un effort est nécessaire dans ce domaine pour que la présence d'un Français d'origine africaine, arabe ou asiatique soit aussi naturelle dans une fiction française qu'elle peut l'être dans une fiction américaine !

Les vidéomusiques représentent en matière de minorités visibles une autre forme de ghetto, puisque ces dernières y sont paradoxalement surreprésentées en apparaissant dans 68% d'entre elles. Il s'agit à 97% de Noirs, qui ne laissent dans ce type de programme que 3% aux Maghrébins et aux Asiatiques. Il faut noter que près de la moitié de ces vidéomusiques qui mettent en scène des artistes issus des minorités visibles sont d'origine étrangère.

Dernier type de programme étudié, la publicité, où 18% des messages présentent des personnes issues de minorités visibles. Là encore, les Noirs sont les plus nombreux, devant les Asiatiques et les Maghrébins. Mais là encore, la moitié des publicités concernées sont d'origine étrangère.

A la lecture de ces chiffres, on peut indéniablement conclure que la télévision française donne une faible représentation des minorités visibles à travers ses chaînes généralistes, et que la prise de conscience à laquelle on assiste depuis quelques mois est largement justifiée.


Vers une meilleure représentation des minorités à la télévision :
le rôle moteur du CSA

La récente proposition d'un projet de décret modifiant les cahiers des missions et des charges des chaînes publiques, en vue d'assurer une meilleure représentation des minorités à la télévision, est intervenue au terme d'un processus qui a débuté l'année dernière et où le CSA a joué un rôle moteur.

Ainsi, la question de la représentation des minorités a été évoquée pour la première fois au sein du CSA dès février 1999. Quelques mois plus tard, le 5 octobre, le Conseil, a reçu en assemblée plénière le Collectif Egalité, représenté par Calixthe Beyala, Luc Saint-Élois, Dieudonné et Manu Dibango. Il a écrit aux chaînes sur ce thème le 25 octobre 1999, et à la ministre de la Culture et de la Communication de l'époque le 4 novembre 1999 pour qu'elle procède à un aménagement des cahiers des charges des chaînes publiques. Le 14 décembre, une autre lettre a été écrite en ce sens à Catherine Trautmann par le Conseil qui a saisi à nouveau Catherine Tasca de cette question à son arrivée rue de Valois. Enfin, le projet de décret du gouvernement modifiant les cahiers des missions et des charges des télévisions publiques a été soumis pour avis au Conseil, qui l'a approuvé le mardi 16 mai en proposant d'y apporter des modifications de détail (cf. p…).

Contribuant, à chaque étape de cette procédure, à accélérer la prise des décisions nécessaires, le CSA estime en effet qu'une juste représentation des minorités visibles dans les médias est la seule manière, notamment pour la télévision, de jouer son rôle intégrateur, de manière crédible, c'est-à-dire en reflétant la société française telle qu'elle est.

Le CSA sera donc attentif à ce que les chaînes publiques respectent les nouveaux principes que leurs cahiers des missions et des charges comprendront désormais sur ce point. De même, s'est-il attaché à prolonger cette évolution sur les chaînes commerciales, dont l'analyse montre que leur plus grande ouverture aux fictions américaines notamment leur permet déjà de mieux rendre compte de la réalité du tissu social contemporain. C'est ainsi que la nouvelle convention de Canal+ qui a été signée le lundi 29 mai 2000 inclut le principe de " représentation à l'antenne, [de] la diversité des origines et des cultures de la communauté nationale ".

 

Convention Canal+.