Calixthe Beyala, Lettre d'une Afro-française à ses compatriotes - Vous avez dit racistes ?

Mango Document, 2000, 95. p. ISBN 2-84270-232-8


Depuis près d'un an, il est de bon ton dans les médias de dénoncer les blocages des mentalités... dans les médias. Calixthe Beyala a le mérite d'avoir contribué à diffuser en France l'idée que la télévision semble étrangement réticente à ouvrir ses diverses productions à des gens de différentes couleurs. Rachid Ahrab, Pépita ou Nagui sont les arbres qui masquent la forêt.

 

A vrai dire, on se posait la question depuis longtemps, entre autres dans les DOM-TOM et en Afrique francophone. La romancière n'a donc fait que reprendre ce que l'on disait depuis longtemps. Elle a bien fait. La cause est bonne et l'injustice doit être dénoncée.

 

Cela étant, Calixthe Beyala ne sert guère la cause qu'elle prétend défendre. Si son ouvrage n'est ni un roman, ni une étude rigoureuse, il n'a même pas l'excuse d'être un bon pamphlet. Les 30 à 40 minutes nécessaires à la lecture permettent de découvrir 95 pages en gros caractères où abondent lieux-communs (je suis noire et le rire est mon moteur, p. 29), idées reçues (l'intégration des Espagnols, des Italiens et des Polonais a été plus facile du fait que seules la langue et la culture les distinguaient des Français d'origine... p. 37) ; les soi-disant hommes des cavernes, p.14, le soi disant racisme à l'envers, p. 27, approximations, allusions ennuyeuses à Dieu, Moïse, de Gaulle, ou Martin Luther King, contresens historiques, etc. L'auteur parsème son ouvrage de boutades dont l'humour n'échappera peut être pas aux thuriféraires de Jacques Faizant et laissera de glace ceux qui lui préfèrent Desproges ou Cabu., le tout agrémenté d'allusions religieuses qui entretiennent à certaines pages une ambiance... afro-américaine tendance bible-belt..

 

Quand elle évoque l'immigration, Calixthe Beyala n'échappe pas à la règle qui veut qu'on emploie des termes organiques et médicaux qui faussent le raisonnement : digérer (p. 15), indigestion, gangrène (p. 12), seuil, etc. Les dates et les faits sont approximatifs. On évoque le repli observé en France depuis 10 ans, la mécanique qui se rouille depuis 20 ans, sans trop savoir à quoi tout cela correspond, à quelle étude, à quels faits.

« Regretté général » (p. 79), se lamente l'auteur sans qu'on sache très bien ce que Mon général a fait pour mériter cela, lui qui laissa parfois échapper quelques allusions aux nègres qui l'ennuyaient tant entre 1958 et 1960.

Les affirmations sont fantaisistes et servent des vérités qui le ne sont pas moins : « plus de 50 % des Noirs américains appartiennent à (la classe moyenne)... s'habillent chez Jennifer et roulent dans des grosses Chrysler. (...) L'Africain-américain est respecté. Il peut jouir d'une égalité de chance de fait et non d'une égalité de forme (...) »

 

On ne saurait écrire sans une documentation préalable. Outre l'histoire, Calixthe Beyala ignore la façon dont elle est enseignée aujourd'hui en France (pp. 53, 54, 60). Si Calixthe Beyala prenait la peine de jeter un coup d'oeil sur les manuels scolaires et les programmes, son jugement serait plus nuancé et gagnerait en rigueur.

- Elle apprendrait que Césaire est aujourd'hui une valeur reconnue par les professeurs de lettres, ses oeuvres ayant elle même suscité de ces petits fascicules de profils d'une oeuvre...

- Il serait temps de réaliser que les petits Français n'apprennent plus « nos ancêtres les Gaulois », credo d'une IIIe République germanophobe. D'une part parce que la France - ou Francie Occidentale - est née après 843 du partage de l'empire de Charlemagne, n'en déplaise aux éditeurs mal informés qui consacrent des CD-ROM à 2000 ans d'histoire de France. D'autre part, les Gaulois sont aujourd'hui étudiés en 6 e au même titre que les Egyptiens ou les Grecs, avec en plus, ce que les Gaulois ont légué au vocabulaire français. C'est tout.

- Il n'existe pas de refus de l'Education Nationale de parler de l'esclavage ou de la colonisation, deux thèmes mentionnés dans les programmes d'histoire, de géographie et d'Education Civique, matière revenue à l'école depuis le passage de J-P. Chevènement à l'EN, il y a 15 ans. Ce qu'on peut dénoncer dans l'EN, c'est la maladresse des auteurs de manuels : des professeurs de 30-40 ans, plutôt ouverts mais, pris par le temps, peu informés de certaines questions et prompts au lapsus ethnocentrique par omission : par exemple l'Afrique laissée vierge sur une carte des Etats du monde en 1500 (manuels de 5e 1997).

On ne saurait donc dénoncer sérieusement un fait de société en faisant l'économie d'un travail rigoureux qui en prendrait toute la mesure.

 

Sans jamais cesser de nous abreuver de concepts américains plaqués sur la réalité française - Minorités, Afro-français, etc. c'est à croire qu'elle en a reçu la consigne - Calixthe Beyala relance le cliché d'une intégration plus facile des immigrations belges et italiennes, ignorant totalement les violences faites aux Belges à la fin du siècle dernier et les massacres d'Italiens, lynchés dans les rues d'Aigues-Mortes ou dans la forêt voisine au cours des jours suivants. Tous étaient blancs et catholiques.

Plutôt que de demander s'il existait des préfets noirs, il aurait été plus judicieux de s'interroger sur le rôle dévolu aux ministres noirs du gouvernement français. Dans les années trente, le sous-secrétaire d'Etat aux Colonies (n°2 du ministère) était toujours un originaire des colonies. Dans les années cinquante, d'autres coloniaux furent nommés à des postes à responsabilité au Ministère de la France d'Outre-Mer. Jamais aucun ne fut ministre en titre. On les nomma toujours à une tâche où ils assumaient un rôle lié à leur origine.

Calixthe Beyala cite l'exemple de Monnerville « Seul le général de Gaulle a tenu un discours universaliste (...) (...) Sous sa présidence, traditionellement, le second (sic) personnage de l'Etat était un Noir. C'est ainsi que notre pays a connu Gaston Monnerville, président de l'Assemblée nationale (sic) (...) ». S'il est vrai que Gaston Monnerville, opposant acharné à de Gaulle, président du Conseil de la République (1947-1958) puis du Sénat (1958-1968), ce n'est ni par tradition gaullienne mais par élection.

Peut-être Calixthe Beyala aurait-elle pu se pencher sur les rôles donnés à des non-blancs dans les ministères des années quatre-vingt et quatre vingt-dix. Systématiquement, les originaires d'Outre-Mer jouèrent le rôle du noir sportif ou du noir francophone, comme si les compétences n'avaient pu s'exercer que dans ces domaines exclusifs, en rapport avec leurs origines.

 

 

L'ouvrage de Calixthe Beyala, s'il dénonce une situation de discrimination réelle, dessert la cause qu'il prétend défendre. Non seulement, il pèche par l'économie qu'il prétend faire d'une documentation rigoureuse mais aussi parce qu'il propose de mauvaises solutions. Calixthe Beyala n'a de cesse de stigmatiser les anti-quotaistes et les universalistes (ce qui ne l'empêche pas de faire de l'universalisme une qualité lorsqu'il s'agit de parler de de Gaulle). En nous proposant des quotas, elle nous propose l'officialisation de catégories de citoyens. S'il est vrai et inadmissible qu'un acteur non-blanc doive, comme l'a dénoncé Jacques Martial, membre du collectif Egalité, faire preuve de plus de talents pour obtenir la même place qu'un acteur blanc, il faudrait tout de même noter que la situation pourrait bien être inversée dans l'hypothèse d'une politique de quotas : un acteur noir pourrait être préféré à un acteur blanc, pour son appartenance à un quota et non pour son talent propre.

Fallait-il consacrer deux pages à un tel ouvrage ? On pourra, non sans raisons, parler de muflerie quand l'élégance commanderait de n'en point parler du tout. Il n'empêche que cet ouvrage et son auteur bénéficient d'une publicité tapageuse qui profite fort peu à la raison et à l'esprit critique. Une mise au point n'est donc pas inutile.

 

La Lettre d'une Afro-française ne risque donc pas de faire concurrence à d'autres études plus sérieuses. On peut penser aux ouvrages de Nicolas Bancel et de l'ACHAC (Association pour la Connaissance de l'Histoire de l'Afrique Contemporaine) : l'Autre et Nous, mais aussi à la récente et sérieuse étude de Marie-France Malonga, Présence et représentation des minorités visibles à la télévision française, réalisée en mai 2000 pour le compte du CSA, suite logique d'un mémoire de l'lFP - Panthéon-Assas intitulé Télévision française et société multiraciale, présence et représentation des personnes d'origines étrangère, IFP, 1999. Indiquons enfin le premier ouvrage du genre : Antonio Perotti, « Présence et représentation de l'immigration et des minorités ethniques à la télévision française » , Migrations, Société, volume 3, n°18, nov-dec. 1991, pp. 39-55.

DC.