Cela se passait une fois, du côté d'Abou -Simbel dans la haute Égypte,
un garçon nommé Méri Kà Rè.
Tous ignoraient
d'où il venait, qui était son père, qui était sa mère. ll
vivait comme le vent,
mangeait ce que le désert offrait,
buvait à travers des oasis, s'arrêtait de temps à autre dans les
petits villages, pour échanger ses services contre un morceau de pain. Et
cela donnait ceci :
- Meri Kà, va
me chercher du bois pour le repas de ce soir-
- Méri kà, va au puit.
- Méri kà, aide-moi à faire le ménage
Et Méri kà Rè allait, et Méri kà Rèportait, et Mèri kà Rè
faisait ceci ou cela, à tel enseigne que même les oiseaux du ciel,
chantaient :
Mèri kà
va, va,
va
pour que les toiles du monde
revêtent les couleurs arc en ciel des dieux
Méri kà va va va,
pour qu'au delà des champs,
le jaune des blés,
fassent valser les hommes de plaisir
Comme dans le vent, l'or poudreux.
- Mais arrêtez ! criait Méri kà aux oiseaux. Vos chansons, vont
finir par me donner le vertige !
- On n'arrêtera que lorsque tu prendras conscience de tes qualités,
ami Méri !
- Arrêtez vos flatteries, renchérissait Méri-kà.
Comment voulez-vous que j'ai des qualités, alors que je n'ai pas
d'origine !
- Depuis le jour où l'océan primordial, le noun, matrice de toute
chose a pris conscience de lui-même, et où il a donné l'existence à
chaque existence en la nommant, même les arbres de la forêt, ont des ancêtres.
- Je sais, disait Méri kà. Que voulez-vous ? J'ai été oublié
par les dieux !
- Parjure ! criaient les oiseaux scandalisés. Depuis quand
travaille-tu
chez Merès Ankh, sans ce qu'il te donne un salaire ?
- Je n'ai pas compté les jours, mes amis !
Mais, reconnaissez avec moi, que j'ai raté tout ce qu'il m'a confié
comme travail !
- Pense-tu réellement Mèri kà, qu'écraser le blé jusqu'à le
rendre plus poudreux que les poussières des vents de sable, que raboter
les planches jusqu'à les rendre plus douces que le ventre d'une femme
enceinte,
c'est du travail mal fait ? Si tu le crois sincèrement, cela
signifie, que tu ne mérites pas
le
nom
de Méri kà rè, l'enfant aimé du Dieu Rè.
- Mais mon patron n'est pas satisfait, protestait Méri kà Ré.
- Ankh, n'est jamais satisfait.
Sache, que cet homme a tété les seins d'Isset en personne, le
dieu de l'injustice et de la cupidité. Cet homme Méri Ka, Rè, ne sera
jamais content ! Il est temps que tu en prennes conscience !
- Écoutez, mes amis, disait Méri Kà Ré, agacé... Il est
tard... Je suis fatigué. J'ai une dure journée de labeur demain.
laissez-moi dormir.
- A ta guise, à ta guise ! criaient les oiseaux, attristés. Puis,
ils s'envolaient sur les arbres, repliaient leurs plumages sous leurs
ventre et s'endormaient.
C'est vrai Méri Kà Ré, ignorait beaucoup de choses du grand
monde. Il ignorait que Le soleil lui avait fait cadeau de la luminosité
de sa peau, mais que cette clarté était dissimulée par la poussière
dans laquelle il dormait.
Il ignorait que la lune lui avait fait don de sa douceur. En outre,
ce n'était pas des yeux qu'il avait, mais deux étoiles capables de lire
les signes de la nuit et de percevoir l'âme des hommes. Et même la misère
dans laquelle il vivait, lui avait prodigué comme présent, un corps si
mince et souple qu'il pouvait courir aussi vite que les gazelles des forêts.
Il ignorait ses réelles capacités et vivait comme les hommes qui
ignorent leurs trésors cachés et croient qu'ils n'en possèdent
pas.
Un matin, Méri Kà Rè se leva et s'étira :
- Ah ! si seulement je pouvais dormir une nuit, une seule, dans un
vrai lit !
- Tu pourras dormir dans un vrai
lit, autant de nuits qu'il y a d'étoiles dans le ciel, si tu nous
écoutais, lui chantonnèrent les oiseaux en guise de bonjour.
- Laissez-moi tranquille, mes amis ! Il faut que je me dépêche.
J'espère que Ankh consentira enfin, à me donner un morceau de pain !
- A ta guise ! A ta guise ! Mais sache qu'un homme têtu, fait
toujours plusieurs fois, ce qu'il conviendrait de faire en une seule.
- Qu'est ce qu'ils sont obstinés ces oiseaux ! se dit Méri Kà Ré.
Mais ce sont mes seuls amis.
Heureusement que je les ai.
Il ne se débarbouilla pas, comme à son habitude et se mit à
courir, pieds nu dans le désert. Le vent, le vent léger, gonflait ses vêtements
comme les voiles des voiliers des pharaons et ses pas soulevaient de la
poussière qu'on eut crût un bataillon de cavaliers et faisait éternuer
les dromadaires.
-
L'homme qui court derrière le temps, l'a déjà perdu !
lui dirent les dromadaires, énervés.
- Je ne cours pas derrière le temps, mes amis.
Je vois venir la faim, par de là les vallées, je vois venir la
misère par de là les pyramides. Je dois courir, pour qu'elles ne me
rattrapent pas, dit-il.
- Alors, va, va, l'encouragèrent les dromadaires et au même
moment, les oiseaux du ciel,
reprirent leurs chansons
:
Mèri kà
va, va,
va
pour que les toiles du monde ...
Méri kà Rè arriva
chez Ankh, trempé de sueur. Celui-ci était attablé devant des
mets succulents, capables de faire oublier sa sagesse au Dieu Thot. Il y
avait là une pintade savoureuse,
parce qu'elle avait été cuite dans des feuilles de bananes, puis
enfouie
dans les entrailles de la terre pendant plusieurs jours : un cochon
de lait
onctueux,
agrémenté des pommes de pin ; des goyave, du gombo frit, des
oranges cueillies dans les meilleurs arpents du Nil.
- Pardon de mon retard, Ankh, dit Méri kà Rè, à son patron
indigne. J'ai fait de rapides coudées pour arriver ici, le plus tôt
possible.
- C'est pas grave, mon enfant, répondit Ankh, en arrachant avec
appêtit une cuisse de pintade.
Il éssuya sa bouche d'une main, puis s'adressa à Mèri kà Rè en
ces termes :
- Malgré que tu sois un incapable, j'ai
décidé de te donner plusieurs chances. Peut-être qu'aujourd'hui,
tu auras enfin ton pain.
- Oui, Ankh, répondit humblement, Méri Kà Rè. Je ferai tout ce
qui est en pouvoir, pour te donner satisfaction.
- J'apprécie ton courage, mon enfant.
Il est difficile d'acquérir des bases d'une bonne éducation,
d'apprendre à faire des choses, quand on a pas de parent.
A ces mots, Méri kà Rè, sentit son coeur se serrer de tristesse.
Des larmes perlèrent à ses paupières. Il baissa la tête et les laissa
couler sur ses joues, tandis que Ankh lui énumérait ce qu'il devait
faire -
- Tu me laveras parfaitement ce vêtement.
- Mais, il est tout noir !
- Justement. Je le veux blanc. Il
faut qu'il retrouve sa couleur originelle, digne de notre Dieu
Osiris, le grand protecteur des bâtisseurs.
- Mais...
- Tu balayeras la cour, dit-il, lui coupant la parole. Et tu me
raccomoderas ces sandales jusqu'à elles aient l'air neuve.
Pendant qu'il énumérait les besognes, Méri kà rè leva ses yeux
embrouillés de larmes, et, ce qu'il vit, fit dresser ses cheveux sur sa tête,
comme les arbres de la forêt
Un monstre géant, se tenait derrière Ankh et son ombre se
confondait avec son patron.
Sa peau était boursouflée et couverte d'énormes cloaques vertes
; Ses yeux étaient de feu
et ce n'était pas des cheveux qu'il avait sur la tête, mais d'énormes
lianes qui s'entortillaient et riaient aux éclats, tandis que de
minuscules
vers jaillissaient de sa bouche et formaient sur le sol, une flaque
gluante.
- Oooh, si tous les hommes pouvaient être aussi soumis que Méri kà
Rè ! vocifera la voix tornitruante du monstre. Je deviendrai aussi riche
et puissant, que tous les pharaons que la basse et la haute Egypte
ont connu dépuis la nuit des temps. Ah ! ah ! ah !
- Ah! ah ! ah ! rirent à leur tour les lianes en s'étirant dans
les cieux. Quelle belle âme naïve ! Certain, qu'à ce rythme, nous
grandirons avec plus de vivacité et de férocité pour broyer les hommes
! Ah ! ah ! ah !
Et Méri ka Rè se mit à trembler de tous ses membres ; ses dents
s'entrechoquaient comme le
billes du jeu de songo, que les vieillards faisaient cliqueter les
après-midi entiers ; ses yeux virevoltaient telles deux étoiles folles.
- Qu'est-ce qui t'arrive, mon enfant ? demanda Ankh, d'une voix
mielleuse.
- Là... Là... Là... derrière toi... bégaya Méri Kà Rè en
montrant le monstre du doigt.
- Je ne vois rien ! dit Ankh en se retourna. Eh bien, maintenant
que tu as fini de raconter des bêtises, il est temps de se mettre au
travail.
Mèri Kà Rè se mit à reculer. Ankh soupçonneux, se dirigea vers
lui, tandis que confondu à son ombre, le monstre géant ainsi que les
lianes qui lui servaient de cheveux, riaient, se moquaient de Méri Kà Rè.
- Assez de cette comédie, Mèri kà Rè ! Allez, vas exécuter
ton travail.
- Pas question, dit Méri kà rè et il fut lui-même surpris de répondre
ainsi, lui dont la soumission semblait innée !
Je ne travaillerai plus pour toi, tant que tu ne m'auras pas payé.
- Petit insolent ! dit Ankh en le giflant si fortement que Méri kà
Rè tournoya sur lui-même comme une toupille avant de tomber dans la
poussière. Sans lui laisser le temps de se relever, il se mit à le rouer
de coups :
- Petit mécréant ! hurlait-il. Paresseux ! Vaurien !
- Au secours ! criait Méri ka Rè. Au secours
Ces cris alertèrent des badauds qui vinrent par dizaine à main
gauche, par dizaine, à main droite, pour suivre la scène. Un oiseaux du
ciel, qui était perché sur un dattier, lança un appel dans le vent, qui
traversa les montagnes et percuta les nuages : << Venez tous oiseaux
du ciel ! Venez sauver Méri kà ! Notre ami est en danger !
>>
Aussitôt, le ciel se couvrit d'un immense nuage noir, qui allait
grossissant, en s'approchant.
- Qu'est-ce qui se passe ? se demandèrent les badauds, étonnés.
Puis on entendit des battements d'ailes.
- Ce sont des
oiseaux ! hurla un enfant.
- Des oiseaux ! Des oiseaux ! scanda la foule en choeur.
Et avant que tous réagissent,
les volatiles, se précipitèrent sur Ankh. De leur bec, ils
piquaient ses vêtements, ils piquetaient son cou, sa tête, ses mains,
son front, son dos. Ils le picoraient, comme s'il avait été fait de
grains de maïs !
- Au secours ! Au secours ! hurlait à son tour Ankh, qui attaqué
par les oiseaux, fut bien obligé de lâcher Méri ka Rè. Alors
seulement, les oiseaux s'en allèrent, abandonnant leur victime.
- C'est de la sorcellerie, dit une femme en doigtant méchamment Mèri
Kà Rè. Ce garçon est un sorcier !
- C'est un sorcier ! scanda la foule à sa suite.
- C'est évident ! dit une autre. Un enfant qui n'a pas de parent,
çà n'existe pas. C'est un mauvais esprit !
- Une âme des profondeurs !
Leur peur et
leur colère montaient comme une boule de fumée dans le ciel, et
faisaient resurgir leurs âmes, invisible pour
l'oeil d'un commun
des mortels.
Pour Méri Kà Rè, c'était un cauchemar. Bien sûr qu'il y avait
des âmes douces comme les plumes de pigeons et aussi inoffensives que des
poussins ! Mais, au de là de tout,
Il voyait des monstres.
Certains avaient trois seins, d'autres des cornes féroces ;
ceux-ci avaient trois pieds, ceux-là, sans. Il y en avait des
jaunes ocres, des vertes
d'oie, des rouges flammes, des noires à flammèches bleues et
leurs rugissements résonnaient jusqu'au centre de sa tête. Ils
s'approchaient du jeune garçon, en
rangs serrés, munis de houe, de flèches et de bâtons.
Méri Kà Rè eut si peur, qu'il se mit à courir.
Des gens se jetèrent à sa poursuite en criant : << Au
sorcier ! Au mauvais esprit ! >> Puis sans savoir comment, les
langues changèrent << Au voleur ! Au voleur ! >>
- Qui a t il volé ? demanda un curieux dans la foule.
- Il a volé du pain chez Ankh !
- Oui, renchérit Ankh, trop heureux de se venger de Méri kà Rè.
J'avais dix pain, par Isis !
Je
l'ai surpris et il m'a attaqué. Appréciez par vous-même !
Et il montra son corps ensanglanté.
Dès lors, Ce ne fut plus seulement les villageois qui le
pourchassaient, mais les chiens, les sbires du pharaon et son armée !
Méri kà rè, courait, plus vite que les gazelles du désert,
aussi vite que les lions des savanes. Mais, le désert à un inconvénient
majeur : c'est de porter à des coudées extraordinaires les échos. Les
aboiements des chiens, les sabots des chevaux sur le sable, les cris des
hommes, alertèrent les habitants des villages alentour, qui se lancèrent
eux aussi à sa poursuite :
- Au brigand ! Au brigand ! Au brigand !
Là,
à
cet endroit où le désert devient plus plat que la paume d'un
main, sans nulle vallée où se cacher, le pauvre Meri kà rè se retrouva
encerclé.
- Oh, Osiris ! Dieu des mondes souterrains et de la résurrection !
mon voyage vers tes domaines va commencer. Accueille-moi en ton sein, et
conduis-moi, vers la vie éternelle.
Soudain, on entendit
un grondement. La terre s'ouvrit brusquement sous les pieds de Mèri
kà Rè et l'engloutit, sous le regard ahuri des gens.
- Rentrons chez nous ! dit un homme. Les dieux ont décidé seuls,
de son châtiment.
Ceci dit, ceci fait, ils s'en allèrent. S'il avaient su... Aaah !
S'ils avaient su...Aaah !
Là où les pieds se posent sur du solide pour permettre à l'homme
d'avoir une impression d'équilibre et d'avancer, là, dans ce monde
des souterrains dont personne ne peut décrire les contours avec précision,
Méri kà Rè, criait sa peur. Il hurlait, d'autant plus qu'à ses
hurlements, se joignaient ceux des habitants des ténèbres qu'il ne
voyait pas.
Il tombait dans une fosse sans fond, aspiré par une force dont il
n'aurait pu dire la nature.
Ses cheveux étaient dressés sur sa tête comme des épis ; ses
yeux exorbités traduisaient son état d'âme, d'ailleurs, il sentait que
celle-ci avait entreprit son voyage dans l'au de là ; ses bras suspendus
en l'air, cherchaient
à s'accrocher à quelque chose, une branche, une liane, mais en
dehors du sable, qui glissait entre ses doigts, il n'y avait rien.
Puis,
sa chute s'arrêta et il resta suspendu en apesanteur dans le vide.
Il avait peur, mais
profita de la sensation de bien être que procurait cette situation
exceptionnelle :
- Est-ce cela être mort ? se demanda-t-il en claquant des dents et
en riant à la fois. C'est très agréable...
A peine eut-il prononcé ces phrases, qu'il tomba comme une pomme
et
atterrit aux pieds d'un monstre des ténèbres, assis à l'entrée
d'une grotte. Il avait la forme d'un oeil géant. Il n'avait pas de
bouche, il navait pas d'oreilles, il n'avait pas de pieds, il n'avait pas
de mains.
- Bonjour, lui dit Méri Kà Rè, en faisant un effort surhumain
pour contenir sa répulsion et sa peur.
- C'est à moi que tu parles ? demanda le monstre, d'une voix qui
surgissait de chaque partie de son corps informe.
- Oui,
rétorqua Méri kà Rè.
Je suis tombé. Un accident.
- C'est ce que des millions d'enfants ont pensé avant toi, dit le
monstre .
- Des millions d'enfants ? se dit Méri Kà Rè et il fixa des
squelettes entassés dans un coin. Ce monstre est le gardien d'une porte
secrète. Je dois le satisfaire, sinon il va me laisser mourir ici. C'est
ce qui est arrivé aux autres.
- Je me suis perdu... dit-il au monstre. Peux-tu me dire comment
retrouver mon chemin
?
- Très volontiers, dit le monstre.
Mais attention :
pour cela tu dois répondre
à une question. Sinon...
- Sinon ?
- Rien. Tu resteras là et tu connaîtras la même fin que les
autres.
Es-tu prêt ?
- Je t'écoute.
- Qu'est-ce qui, n'existe pas, mais peut empêcher un homme
d'avancer ? Le monstre bailla : je suis fatigué. Quand tu auras trouvé
la solution à cet énigme, réveille-moi.
Resté seul, notre héros se mit à réfléchir. Il y faisait un
froid glacial, mais il
transpirait.
- Ce monstre est impitoyable. Si je me trompe, il s'endormira pour
toujours. Ces enfants ont dû évoquer de millions de possibilités...
Pourtant, ils sont morts... Une voix intérieure lui souffla quelque chose
à l'oreille et il eut une illumination. Beaucoup d'entre eux s'en
seraient sortis, si cette chose éxistait !
C'est çà, se dit-il.
Il se leva d'un bond :
- As-tu trouvé la réponse, mon garçon ? demanda le monstre en
s'agitant.
- Si je réponds, par oui ou par non, ce monstre va considérer
cela comme une réponse.
Je dois me taire et avancer...
Et Méri kà
Rè avança, posa un pied sur le monstre, puis l'autre et au fur et à mésure
qu'il avançait, le monstre protestait et se dissipait comme un gros nuage
noir, dans le souterrain.
- Mais qu'est-ce que tu fais ? protestait le monstre. Nous avons un
accord. J'exige une réponse, sinon... Ah, c'est pas juste ! Pas juste du
tout ! Donne-moi une réponse !
- Tu n'es qu'une illusion, dit Méri kà Rè. Et il n'y a pas de réponse
à cela !
- Pitié ! suppliait l'illusion. Pitié ! J'ai moi aussi le
droit d'exister. Tu n'as pas le droit de me tue ! Pitié.
Méri kà Rè, ne prêta pas l'oreille aux supplications de
l'illusion, qui finit par se dissiper.
Et comme par enchantement, apparut à ses yeux, une magnifique
ville. Les toitures des maisons
avaient la forme de gros champignons, taillés dans du cuivre ; les
piliers n'étaient pas de pierre, mais d'or ;
Les meubles des maisons étaient incrustés de pierres précieuses
:
- Par Thot, s'exclama Méri Kà rè, impressionné. Quelle beauté
! Quelle magnificence !
- Ces biens peuvent t'appartenir, si tu consens à rester parmi
nous, lui dit une voix dans son dos.
Mèri Kà Rè se retourna et ce qu'il vit lui coupa le souffle. Il
y avait là des dizaines de monstres. Certains avait des torses de femmes
, mais des
corps de zébus ; d'autres des corps d'humains, mais un nuage
blanc leur servait de visage, d'autres encore étaient couverts d'épines
comme des ronces.
- L'on
ne peut posséder quelque chose pour lequel l'on a pas travaillé,
répondit Méri Kà Rè.
- Que c'est dommage, pleurnichèrent les monstres. Regardez ces
enfants, ils vivent ici. Ils ont tout ce dont ils ont besoin.
Alors il vit çà et là, des enfants. certains jouaient avec des
pièces d'or
qu'ils
faisaient rouler dans la poussière et répétait sans cesse
:<< Que de beaux joyaux ! >>
d'autres mangeaient du pain, des gâteaux d'épices, des bâtons à
sucer. Ils mangeaient tant, qu'on eut cru qu'ils souffraient d'une faim
insatiable : << Que c'est bon ! hum ! >> d'autres encore,
dormaient dans de magnifiques lits et soupiraient
: << Que ces draps sont
doux ! >>
Alors notre héros comprit que ces enfants avaient été fascinés
par ces biens,
et que leur fascination les avait fait prisonnier
de cet endroit. Il dit aux monstres.
-
Je cherche ma route.
Pouvez-vous me l'indiquer ?
- C'est notre travail, répondirent les monstres, mais pour cela,
tu dois répondre à une question.
- Je vous écoute, dit Méri Kà Rè le coeur battant.
- Qu'est-ce qui ne prend jamais la parole en premier, mais a
toujours le dernier mot ?
Notre héros réfléchit. Il pensa à la vérité, à la sagesse,
aux dieux, à la mort, à la vie, à la justice, à tout ce qu'il
connaissait dans la nature... Puis, se souvenant de sa méaventure dans le
désert, il se mit à hurler
:
- Je veux sortir d'ici ! Je veux sortir d'ici !
- Tu dois d'abord répondre à notre question !
protestèrent les monstres ! C'est pas juste ! C'est pas juste !
- Je veux sortir d'ici ! continuait de crier Méri Kà Rè. Je veux
sortir d'ici !
parce qu'il savait que seul l'écho, se répandait et avait le
dernier mot.
A mesure qu'il hurlait, les monstres s'enfonçaient dans la terre
: << C'est pas juste, Méri ! Tu dois d'abord répondre à notre
question. >> Bientôt, leurs voix s'éteignirent dans le lointain et
ils ne furent plus qu'un mauvais souvenir.
- Que c'est étrange ! se dit Méri kà Rè, en avançant dans
l'obscurité qui venait de remplacer la magnifique ville.
Je me demande bien ce que le destin me réserve. Il avançait à tâtons,
se cognant à des formes imprécises. Certaines tentaient de le faire
tomber ; d'autres s'accrochaient à ses cheveux et leurs rugissements
envahissaient ses oreilles. Aussi, pour se donner une contenance, il se
mit à chanter, cette petite chanson que les oiseaux lui chantaient
:
Mèri kà
va, va
va
pour que les toiles du monde
revêtent les couleurs arc en ciel des dieux
Méri kà va va va,
pour qu'au delà des champs,
le jaune des blés,
fassent
valser les hommes de plaisir
Comme dans le vent, l'or poudreux.
- Qu'est-ce qui vient ainsi, troubler mon sommeil ? demanda une
voix qui
résonnait comme le bruit d'une cascade.
Avant que deux mots ne s'attroupent dans sa tête pour formuler une
réponse, deux hommes apparurent, l'attrapèrent et le traînèrent à
travers des dédales obscures.
- Lâchez-moi ! criait Mèri kà Rè, en essayant de se libérer
des mains qui le tenaient.
Lâchez-moi !
Mais les gardes ne l'écoutèrent pas. Ils le firent pénétrer de
dans une demeure où l'eau tenait lieu de parois. Même les tables et les
chaises,
étaient constitués d'eau en perpétuelle agitation. Un homme
liquide était attablé et mangeait. Il était si gigantesque, que les
petits enfants, qu'il croquait entre ses dents, paraissaient aussi
minuscules que des cacahuètes. Lorsqu'il vit Méri kà Rè, il jeta en
l'air un enfant et le goba au vol
:
- Qu'as-tu à venir ainsi, déranger ma digestion ? damanda-t-il à
Méri Kà, en rotant bruyamment.
- Je cherche ma route, dit Méri kà Rè. Il faut que je sorte
d'ici.
- Tu as frappé à la bonne porte, garçon.
Mais, je ne peux t'indiquer la direction, que si tu répondaiss à
une
question.
- Je t'écoute, dit Méri en priant les dieux de le sauver.
- Quel est ton nom ?
Je te laisse tout le temps nécessaire pour me le donner. Pour
l'instant, laisse-moi,
continuer mon repas en toute tranquillité.
Méri kà Rè s'assit sur un banc d'eau et prit sa tête entre ses
mains :
- Cette question paraît trop simple, pour être vraie. Admettons
que je lui dise mon nom, qu'est-ce qui m'arrivera ? Je lui servirai de
repas comme les autres.
- Non !
cria
Méri kà Rè.
- Non, n'est pas un nom, dit l'homme liquide, surpris. Je dois
connaître ton nom,
de la personne à qui je rends service.
-
Non ! répèta Méri kà rè.
Immédiatement l'homme liquide et tous les meubles, les parois, se
mirent à ruisseler. L'homme liquide, pleurait, protestait :
- Tu dois répondre à ma question, garçon ! Tu n'as pas droit de
me tuer !
Ce n'est pas juste ! C'est pas juste !
- L'homme ne peut manger ce qu'il ne peut nommer, dit Méri kà Rè.
Non ne peut être un nom, parce qu'il n'a pas d'inverse.
Alors, comme par magie, Méri kà Rè se retrouva dans une
magnifique chambre éclairée par le soleil. On eut cru que le Dieu Rè en
personne, était présent.
Ses pauvres hardes s'étaient transformés en de resplendissants
tissus d'or et d'argent. Il portait au cou un pendentif représentant le
scarabée sacré et son front
était ceint de la bandelette réservée aux princes de sang.
- Oh, Rè ! cria une femme en apercevant Méri kà Rè. Elle tomba
à ses pieds en pleurant. Tu es revenu mon fils ? Je croyais t'avoir perdu
pour toujours, à ta naissance, lorsque ma soeur jalouse de ta beauté,
t'avait sacrifié à Ammout afin qu'il dévore ton âme.
- Où suis-je ? que fais-je ici ? demandait Méri Kà rè.
Méri Maât, la soeur du pharaon était si bouleversée, qu'elle ne
put répèter que les mêmes mots. Les servantes entendant les pleurs de
leur maîtresse, accoururent, virent Méri kà Rè et le reconnurent.
Toutes se prosternèrent à ses pieds.
Alors Méri Kà rè comprit qu'il était le fils de Méri Maât. Il
lui avait fallu faire tout ce chemin, pour retrouver ses origines, ainsi
l'avaient décidé les dieux. Chaque homme a sa route et la sienne avait
été sémée de mille embûches.
Pendant plusieurs jours, on fêta le retour du prince. Le Pharaon
fut si impressionné par la sagesse de Méri kà Rè, qu'il décida d'en
faire un de ses conseillers. Méri kà rè ne raconta jamais sa mésaventure
à âme qui vive, parce qu'il savait que l'écho aura toujours le dernier
mot.
Calixthe Beyala |
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